Je vais être franche : jusqu’à hier soir, à part « Le bien qui fait mal » que je voyais passer et repasser sur Twitter par des amis il y a quelques années, je n’avais jamais (jamais) entendu quoi que ce soit de Mozart l’Opéra Rock malgré son succès évident à l’époque, fin années 2000.
Je me suis rappelée donc de « l’Assasymphonie » que j’avais entendue vaguement dans N’oubliez pas les Paroles une fois et je suis allée voir l’original.
Bien sûr, je n’ai pu que m’apercevoir que la chanson n’a pas volé sa réputation de « bourrage de crâne » et… je me suis rappelé du même coup qu’il y avait une adaptation japonaise (en fait, je me souviens avoir cherché « Le Bien qui fait Mal » en japonais pour quelqu’un – eh oui c’est à ça que ça sert de faire des études de japonais !).
Et donc, je me suis retrouvée, en pleine nuit, à retranscrire les paroles de la VJ et de faire une analyse comparée avec l’originale française.
Pour aider à la lecture, j’ai posé des balises : le texte entre parenthèses est ma traduction littérale du passage. Le texte en-dessous en italique est la version française originale. Les paroles japonaises sont écrites en romaji pour faciliter la lecture !
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[Premier couplet]
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yoru no yami no naka de (Dans les ténèbres de la nuit)
Cette nuit, intenable insomnie
tozasareta (fermées)
La folie me guette
mimi ni nokoru (qui reste dans mes oreilles)
Je suis ce que je fuis
koe wa kie wa shinai (cette voix, qui ne partira pas)
Je subis cette cacophonie[…]
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La version japonaise, contrairement à la française, fait une longue phrase. A cause de la longueur des mots japonais et des syllabes que l’on ne peut pas vraiment omettre ou « avaler », il leur est impossible de procéder comme l’original, ce qui mène à ce découpage contraignant.
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VJ : Dans les ténèbres de la nuit, cette voix incrustée dans mes oreilles « fermées » ne semble jamais vouloir s’en aller
VO : Cette nuit, intenable insomnie. La folie me guette. Je suis ce que je fuis, je subis cette cacophonie […] (qui me scie la tête, mais c’est à la ligne suivante)
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kurikaesu (Elle ne cesse de revenir)
[…]qui me scie la tête
kuroi kage ga (cette ombre noire qui)
Assommante harmonie
sakebu, nigerarenai (crie, « tu ne peux pas fuir…)
Elle me dit, tu paieras tes délits
omae wa (Tu…)
Quoi qu’il advienne
iku basho da to (…d’endroit où aller…)
Traîne ces chaînes
nai to (…n’as pas)
Ces peines
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VJ : Cette ombre noire qui ne cesse de revenir, crie, « tu ne peux pas fuir, tu n’as nulle part où aller ».
VO : Assommante harmonie, elle me dit, tu paieras tes délits ; quoi qu’il advienne, traîne ces chaînes, ces peines.
Rien qu’avec ce premier couplet, on voit clairement la contrainte imposée par les syllabes du côté de la version japonaise pour respecter le rythme et la mélodie de la chanson. Exemple : Qui/me/scie/la/tête (5 mots) > Ku/ri/ka/e/su (1 mot ! mais le même nombre de syllabes à l’oreille).
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[REFRAIN]
Nemureru yoru ni hibiku (Il retentit dans la nuit endormie)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie
Requiem (ce requiem)
Aux requiems
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Tsumetai (froides)
Tuant par dépit
kono te de (de ces mains)
Ce que je sème
kurutta kono sekai ni (à ce monde fou/insensé/aberrant)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie <= [le français reprend au début]
sasageyô (je ferai offrande)
Et au blasphème
nikushimi no merodii wo (cette mélodie de rancœur )
J’avoue je maudis tous ceux qui s’aiment
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VJ : De mes mains glacées, je ferai offrande cette mélodie de rancœur à ce monde insensé
VO : Tuant par dépit ce que je sème / (retour au début du refrain) Je voue mes nuits à l’Assasymphonie et au blasphème / J’avoue je maudis tous ceux qui s’aiment.
Oula, oula, oula, attendez, pas tous en même temps ! Vous l’aurez remarqué, le décalage rend tout ça difficile à suivre. En effet, la version japonaise ne retourne pas en arrière pour répéter le début du refrain comme l’originale (on peut dire qu’elle n’a pas le temps, d’une certaine façon) et continue tout droit pour finir sa phrase.
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[Second couplet]
Kami ni midasarete (Que Dieu a malmenée)
L’ennemi tapi dans mon esprit
tachitsukusu (debout immobile)
Fête mes défaites
aware na nukegara (cette carcasse pitoyable)
Sans répit me défie
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VJ : Cette carcasse pitoyable malmenée par Dieu se tient debout, immobile (ou reste debout sans plier?) Je vous avoue que je suis pas sûre pour cette partie, mais elle ne dérange pas trop l’analyse donc je l’ai gardée. Si vous avez une idée ou voyez une erreur, n’hésitez pas !
VO : L’ennemi tapi dans mon esprit fête mes défaites, sans répit me défie
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Subete kiesaru nara (Si tout doit disparaître)
Je renie la fatale hérésie
Omae to (avec toi…)
Qui ronge mon être
jigoku made (jusqu’en enfer…)
Je veux renaître
ikô (…j’irai)
Renaître
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VJ : Si tout doit disparaître, j’irai en Enfer avec toi
VO : Je renie la fatale hérésie qui ronge mon être, je veux renaître, renaître
Je pense que vous avez compris le principe, donc je ne m’attarderai pas en analyses sur ce passage. Les paroles japonaises prennent un tournant très différent ! Je suppose que le « Omae » (toi) désigne la voix/cacophonie/ombre etc. La version japonaise reprend la même structure qu’au premier couplet sur la fin (omae wa…/…iku basho…/…nai to).
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[REFRAIN]
Nemureru yoru ni hibiku (Il retentit dans la nuit endormie)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie
Requiem (ce requiem)
Aux requiems
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Nozomi nado (Que je souhaite)
Tuant par dépit
nai kara (il n’y a rien, alors)
Ce que je sème
kurutta kono sekai wo (à ce monde fou/insensé/aberrant)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie
owaraseyô (je mettrai fin)
Et aux blasphèmes
kono te wo chi ni sometemo (même si mes mains doivent être entachées de sang)
J’avoue je maudis tous ceux qui s’aiment
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VJ : Je ne souhaite rien d’autre, alors je mettrai fin à ce monde insensé, même si mes mains doivent être entachées de sang
VO : Le même refrain qu’au début
Surprise ! La version japonaise ne reprend pas le texte du premier refrain tel quel, contrairement à l’original.
Vient alors le passage le plus complexe rythmiquement :
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[Troisième couplet]
Tamashii ((Mon) âme)
Pleurent les violons
sutete (jetant)
De ma vie
ima akuma ni ta[…] (A présent au Démon)
La violence de mes envies
[…]suke wo negau (j’implore l’aide)
Siphonnée symphonie
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VJ : Sacrifiant mon âme, j’implore l’aide du Démon
VO : Pleurent les violons de ma vie, la violence de mes envies, siphonnée symphonie
Pourquoi ces […] ? Parce que la version japonaise se met à tronquer certains mots pour que cela suive rythmiquement. Par ailleurs, c’est aussi la raison pour laquelle j’ai écrit en romaji, vu que tasuke 助け n’est pas découpable si on utilise le kanji… qui comprend [tasu]ke alors que le mot se coupe au [ta]. La même chose se produit dans la suite du passage :
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Utsukushii musique (Cette sublime musique)
Déconcertant concerto
kono te kara uba[…] (Si de mes mains)
Je joue sans toucher le do
[…]wareru no nara (on me l’enlève…)
Mon talent sonne faux
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VJ : Si cette sublime musique doit (de mes mains) m’être enlevée…
VO : Déconcertant concerto, je joue sans toucher le do, mon talent sonne faux
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Hikari nado hoshiku wa nai (Je ne désire pas de lumière)
Je noie mon ennui dans la mélomanie
Inori nado kikoenai (Je n’entends pas les prières)
Je tue mes phobies dans la désharmonie
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(NB : J’ai laissé un espace pour respecter la légère coupure faite par les chanteurs sans avoir à passer sur deux lignes)
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[REFRAIN]
Nemureru yoru ni hibiku (Il retentit dans la nuit endormie)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie
Requiem (ce requiem)
Aux requiems
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Tsumetai (Froides)
Tuant par dépit
kono te de (de mes mains)
Ce que je sème
kurutta kono sekai ni (à ce monde insensé/aberrant)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie
sasageyô (je ferai offrande)
Et aux blasphèmes
nikushimi no merodii wo (cette mélodie de rancœur )
J’avoue je maudis tous ceux qui s’aiment
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Pas vraiment besoin de résumer ici, vu qu’il s’agit du premier refrain dans la version japonaise.
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Nemureru yoru ni hibike… (Résonne dans la nuit endormie…)
Je voue mes nuits à l’Assasymphonie…
Kono te wo chi ni sometemo (même si mes mains doivent être entachées de sang)
J’avoue je maudis tous ceux qui s’aiment
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Et ces deux dernières lignes… qui sont en réalité plutôt intéressantes, puisque si la version française prend la première et la dernière ligne du refrain – qui est le même partout dans la chanson, la version japonaise, elle, a le choix et prend la dernière ligne de la variante du refrain.
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En conclusion ? Lorsqu’on traduit, on est « obligé » de perdre une partie de l’information. Nous le savons bien, lorsque nous sommes incapables de retranscrire toutes les nuances d’une phrase en japonais dans notre langue maternelle… mais ici, nous avons l’occasion d’observer le phénomène inverse, où le japonais doit faire des concessions à cause de la longueur de ses mots et du nombre de syllabes que la langue emploie. Ces concessions mènent bien sûr à bon nombre d’omissions mais aussi à des changements au niveau du sens et des nuances présentes dans le texte original.
Je suis sûre qu’il y aurait d’autres choses à dire sur les autres chansons de l’opéra, mais je vais m’en tenir là… par contre, attendez-vous à d’autres analyses de ce type dans un futur plus ou moins proche !
Avec ça on peut dire que j’ai voué ma nuit à l’Assasymphonie, littéralement…